Bookmakers : le making-of de la littérature

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Mar 19, 2021 • 45min

Pierre Jourde : Éperdu d’un pays (2/3)

Éperdu d’un pays Bookmakers #10 - L’écrivain du mois : Pierre JourdeNé à Créteil en 1955, Pierre Jourde vit et travaille à Paris. Romancier « complexe », poète aux haïkus « tout foutus », théoricien du « double » ou de « l’authenticité », ce rigoureux professeur de lettres n’est que « secondairement », dit-il, le critique impitoyable que Saint-Germain-des-Prés découvrit avec l’essai « La littérature sans estomac » (L’Esprit des Péninsules, 2002) récompensé par l’Académie Française.Sa reconnaissance fut aussi tardive que l’œuvre est prolifique. Pour se mettre en jambes, on lira d’abord son récit burlesque d’alpinisme amateur, « Le Tibet sans peine » (Gallimard, 2008), avant d’attaquer « Pays perdu » (L’Esprit des Péninsules, 2003, récit intime de son Auvergne « épique »), suivi du compte-rendu de la violente réception de ce texte, formulé dans « La première pierre » (Gallimard, Grand-Prix Jean Giono 2013). Les plus vaillant.e.s chemineront ensuite vers le déchirant « Winter is coming » (2017, ode au fils disparu) ou la somme de toutes ses obsessions : « Le Maréchal absolu » (2012).En partenariat avec Babelio.(2/3) Éperdu d’un pays« Le public n’a pas réellement besoin de lire le livre qu’il a acquis. On s’emploie donc à lui fournir une image de littérature. » L’ouvrage qui sort Pierre Jourde de l’ornière s’intitule « La littérature sans estomac », publié en 2002 par L’Esprit des péninsules et dédié à son frère Bernard « qui connaît la bagarre ». Aussi drôle que sérieux, c’est un recueil d’analyses féroces de romans français contemporains, rédigées « sans volonté d’en faire un pamphlet », mais armées d’un agacement. Dans le milieu littéraire hexagonal, mon invité du mois constate que ce qui gravite « autour du texte » (le sujet abordé, la vie publique et privée de l’artiste, ses opinions, les prix reçus) passe « avant » le texte. Le style, la qualité des intrigues, des idées ou des personnages : tout ceci est secondaire et n’est souvent guère à la hauteur de la réputation de l’auteur.e.Pierre Jourde utilise alors son « arsenal universitaire » pour rétablir la justice, avec « un ton guilleret », en dénonçant – « en défonçant » conviendrait mieux – les « provocations prudentes » de Michel Houellebecq ou les répétitions délirantes de Christine Angot, en démasquant les faux rebelles, « ceux qui chantent faux », sempiternellement « au bord du gouffre », « en proie au vertige » ou « travaillés par le néant », obsédés par la respectabilité ou embourbés dans le pathos. Coïncidence : c’est aussi l’année où il se met à la boxe.Cette prolongation de « La Littérature à l’estomac » de Julien Gracq (1949), qui déplorait déjà ces paradoxes en parlant d’une course « de jockeys chevauchant des limaces », reçoit le prix de la critique de l’Académie Française. Il serait naturellement très excitant pour les auditeurs et auditrices de « Bookmakers » d’en savoir plus, mais nous n’allons pas vous donner ce plaisir. Pour trois raisons. D’abord, parce que Pierre Jourde a raconté cette histoire cent onze fois. Ensuite et surtout, parce que ce serait rejouer ici son drame artistique intime : le fait que son activité de « démolisseur de service », d’« ironiste » qui « cogne », éclipse son talent de romancier. Enfin, parce qu’il reconnaît lui-même que ce bouquin a « beaucoup de défauts ».Nous consacrerons donc ce deuxième épisode à sa véritable naissance en tant qu’écrivain, à 47 ans. Le temps d’un magnifique récit de deuil, « rude », lyrique et mythologique, sur ses origines rurales, situé dans un hameau du Cantal. Titre : « Pays perdu », publié en 2003 chez le même éditeur et écoulé au fil des rééditions à plus de vingt mille exemplaires, pour lequel ce disciple rugueux d’Alexandre Vialatte va « rompre la fiction du secret ». Des années plus tard, encombré d’une polémique doublée d’un malentendu qui lui reste sur l’estomac, il écrira : « C’était un livre qui avait honte d’être fier de ce qu’il décrivait. » Enregistrement février 2021 Entretien, découpage, lectures Richard Gaitet Prise de son, montage Sara Monimart Réalisation, mixage, musiques originales Samuel Hirsch Guitare, claviers, drone Matthieu Lesenechal Illustration Sylvain Cabot Production ARTE Radio
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Mar 19, 2021 • 40min

Pierre Jourde : Le premier Pierre (1/3)

Le premier Pierre Bookmakers #10 - L’écrivain du mois : Pierre JourdeNé à Créteil en 1955, Pierre Jourde vit et travaille à Paris. Romancier « complexe », poète aux haïkus « tout foutus », théoricien du « double » ou de « l’authenticité », ce rigoureux professeur de lettres n’est que « secondairement », dit-il, le critique impitoyable que Saint-Germain-des-Prés découvrit avec l’essai « La littérature sans estomac » (L’Esprit des Péninsules, 2002) récompensé par l’Académie Française.Sa reconnaissance fut aussi tardive que l’œuvre est prolifique. Pour se mettre en jambes, on lira d’abord son récit burlesque d’alpinisme amateur, « Le Tibet sans peine » (Gallimard, 2008), avant d’attaquer « Pays perdu » (L’Esprit des Péninsules, 2003, récit intime de son Auvergne « épique »), suivi du compte-rendu de la violente réception de ce texte, formulé dans « La première pierre » (Gallimard, Grand-Prix Jean Giono 2013). Les plus vaillant.e.s chemineront ensuite vers le déchirant « Winter is coming » (2017, ode au fils disparu) ou la somme de toutes ses obsessions : « Le Maréchal absolu » (2012).En partenariat avec Babelio.(1/3) Le premier PierrePierre Jourde travaille, de son propre aveu, « dans l’agressivité ». En considérant souvent l’écriture « comme une guerre ». C’est le romancier des violences – rurales, esthétiques, métaphysiques – qui pèsent sur les corps et les esprits. Un boxeur assidu, dont l’idéal littéraire ressemble au noble art : un enchaînement de coups, d’esquives et de parades. Un spécialiste de l’incongru aussi, des géographies imaginaires ou des splendeurs sophistiquées de Huysmans, qui enseigna les lettres pendant plus de vingt ans à l’université Grenoble-III, après avoir été professeur dans des collèges de banlieue, de campagne, de cité minière. Sportif accompli, ce Parisien d’Auvergne affirme détenir un record : celui du plus grand nombre de manuscrits refusés en France, pendant vingt-trois ans !Mais comment encaisser tant de refus, muscler sa persévérance ? Quel fut l’entraînement et la discipline initiale du futur auteur offensif de « La littérature sans estomac » (2002), de « Pays perdu » (2003) ou de « Festins secrets » (2005, prix Renaudot des lycéens) ? Dans ce premier épisode, Pierre Jourde revient sur les leçons de deux de ses coachs les plus illustres, qui l’ont marqué à vie : Marcel Proust et Jorge Luis Borges.  Enregistrement février 2021 Entretien, découpage, lectures Richard Gaitet Prise de son, montage Sara Monimart Réalisation, mixage, musiques originales Samuel Hirsch Guitare, claviers, drone Matthieu Lesenechal Illustration Sylvain Cabot Production ARTE Radio
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Feb 19, 2021 • 31min

Marie Desplechin : Sainte Marie, dormez pour nous (3/3)

Sainte Marie, dormez pour nous Bookmakers #9 - L’écrivaine du mois : Marie DesplechinNée en 1959 à Roubaix, Marie Desplechin vit et travaille à Paris. Elle écrit depuis près de trente ans des histoires tendres, drôles, inquiétantes ou magiques à destination de la jeunesse – parmi lesquelles, outre les incontournables « Verte » (1996) et « Le Journal d’Aurore » (2006-2009), on recommande avec force « Le Sac à dos d’Alphonse » (1993), « Babyfaces » (2010), « Sothik » (2016, avec Sothik Hok et les illustrations de Tian), « Enfances » (2018, avec les dessins de Claude Ponti) ou « La Capucine » (2020).Adaptée au cinéma, à la télévision ou en bande dessinée, collaboratrice occasionnelle de Robert Guédiguian (« Le voyage en Arménie », 2006) ou de Sophie Calle (« Prenez soin de vous », 2007), elle écrit donc aussi parfois – mais, chut, ne le répétez pas – pour les adultes.En partenariat avec Babelio(3/3) Sainte Marie, dormez pour nousPour écrire, il faut dormir, selon Marie Desplechin. Si, si. En cas de blocage sur une phrase, une intrigue ou un personnage, la romancière recommande de faire la sieste vingt minutes ou deux bonnes heures afin de « laisser le cerveau avancer » dans ce qu’elle nomme avec amour son « jardin », paradis fleuri de ses souvenirs, de ses sensations et de son imagination, que cette mère de trois enfants visite et parcourt à loisir, depuis son fauteuil ou le secret de sa cuisine – « angoissée » à l’idée d’avoir un bureau, malgré de nombreuses tentatives.Cependant, dans le parc naturel de ses rêveries paisibles, il existe une serre ombragée qui lui inspire des sentiments mitigés. Celle qui abrite… ses trois livres pour adultes publiés aux éditions de l’Olivier, parfois couronnés de succès : le recueil de nouvelles « Trop sensibles » (1995) ainsi que ses romans « Sans moi » (1998, traduit en quatorze langues, cité pour les prix Goncourt, Femina, Médicis et Flore) et « Dragons » (2003).Comme elle nous l’explique dans ce troisième et dernier épisode : on ne l’y reprendra plus. Mais que s’est-il passé ? Pourquoi Marie Desplechin a-t-elle choisi par la suite d’affronter la littérature pour adultes, non plus seule mais à deux, pour cosigner, comme avec l’attachée de presse Lydie Violet, l’émouvant « La vie sauve » (2005, lauréat du prix Médicis essai, éditions du Seuil) ou avec la boxeuse Aya Cissoko, le frappant « Danbé » (2011, Calmann-Lévy) ? Sainte Marie, dormez pour nous. Enregistrement janvier 2021 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son, montage Sara Monimart Lectures Jennifer Anyoh, Stella Defeyder, Richard Gaitet, Delphine Saltel Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Percussions Johan Guidou Illustration Sylvain Cabot Remerciements très spéciaux Sofia Girard-Bresson, Vadim Girard-Bresson, Joseph Hirsch, Lou Marcelet Production ARTE Radio
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Feb 19, 2021 • 46min

Marie Desplechin : Derrière la porte « Verte » (2/3)

Derrière la porte « Verte » Bookmakers #9 - L’écrivaine du mois : Marie DesplechinNée en 1959 à Roubaix, Marie Desplechin vit et travaille à Paris. Elle écrit depuis près de trente ans des histoires tendres, drôles, inquiétantes ou magiques à destination de la jeunesse – parmi lesquelles, outre les incontournables « Verte » (1996) et « Le Journal d’Aurore » (2006-2009), on recommande avec force « Le Sac à dos d’Alphonse » (1993), « Babyfaces » (2010), « Sothik » (2016, avec Sothik Hok et les illustrations de Tian), « Enfances » (2018, avec les dessins de Claude Ponti) ou « La Capucine » (2020).Adaptée au cinéma, à la télévision ou en bande dessinée, collaboratrice occasionnelle de Robert Guédiguian (« Le voyage en Arménie », 2006) ou de Sophie Calle (« Prenez soin de vous », 2007), elle écrit donc aussi parfois – mais, chut, ne le répétez pas – pour les adultes.En partenariat avec Babelio(2/3) Derrière la porte « Verte »C’est l’histoire d’une jeune fille au prénom bizarre qui découvre, dans un accès de colère contre sa mère, qu’elle est une sorcière, issue d’une puissante lignée de femmes solitaires aux marmites centenaires. C’est aussi un best-seller intitulé « Verte », publié en 1996 à L’Ecole des Loisirs, qui ensorcela à 37 ans la vie de Marie Desplechin et connaîtra deux suites : « Pome » (2007) et « Mauve » (2014). Mais de quel chaudron est sortie cette potion, qui raconte si bien ce moment-clé où, d’un coup d’un seul et sans baguette magique, les enfants ne supportent plus leurs parents ? À partir de quels affects composa-t-elle, ensuite, les trois tomes du « Journal d’Aurore » (2006-2009), condensé intime des élans du cœur et des désespoirs d’une ado « jamais contente » et « révoltée partout  », comique alter ego de son autrice ?« Être proche de son enfance pourrait paraître infantile, souligne-t-elle avec ferveur, mais c’est évidemment l’inverse. Cette fontaine de créativité, de joie, leur capacité d’adaptation… sont de super-outils pour les adultes. » Revenons alors à la source et grimpons, pour ce deuxième épisode, dans le « grenier d’images » de cette tendre et prolifique conteuse, qui confesse s’appuyer presque autant sur le rage d’Eminem que sur l’écriture dépouillée de « Jules et Jim ». Enregistrement janvier 2021 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son, montage Sara Monimart Lectures Jennifer Anyoh, Stella Defeyder, Richard Gaitet, Delphine Saltel Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Percussions Johan Guidou Illustration Sylvain Cabot Remerciements très spéciaux Sofia Girard-Bresson, Vadim Girard-Bresson, Joseph Hirsch, Lou Marcelet Production ARTE Radio
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Feb 19, 2021 • 31min

Marie Desplechin : Où l’on apprend comment poussa la capucine (1/3)

Où l’on apprend comment poussa la capucine Bookmakers #9 - L’écrivaine du mois : Marie DesplechinNée en 1959 à Roubaix, Marie Desplechin vit et travaille à Paris. Elle écrit depuis près de trente ans des histoires tendres, drôles, inquiétantes ou magiques à destination de la jeunesse – parmi lesquelles, outre les incontournables « Verte » (1996) et « Le Journal d’Aurore » (2006-2009), on recommande avec force « Le Sac à dos d’Alphonse » (1993), « Babyfaces » (2010), « Sothik » (2016, avec Sothik Hok et les illustrations de Tian), « Enfances » (2018, avec les dessins de Claude Ponti) ou « La Capucine » (2020).Adaptée au cinéma, à la télévision ou en bande dessinée, collaboratrice occasionnelle de Robert Guédiguian (« Le voyage en Arménie », 2006) ou de Sophie Calle (« Prenez soin de vous », 2007), elle écrit donc aussi parfois – mais, chut, ne le répétez pas – pour les adultes.En partenariat avec Babelio(1/3) Où l’on apprend comment poussa la capucineElle dit qu’elle écrit souvent « avec une gamine de 9 ans dans la tête » et qu’elle n’est pas « tout à fait adulte ». Depuis 1993 et la sortie du « Sac à dos d’Alphonse », Marie Desplechin s’est imposée tranquillement comme la patronne enchanteresse de la littérature jeunesse hexagonale, recevant en décembre dernier le prix de « La Grande Ourse » pour l’ensemble de son œuvre au Salon du Livre de Montreuil.Deux générations de lecteurs – et ce n’est pas fini – lui doivent leurs premières émotions littéraires, via plus d’une trentaine de romans, contes, fables ou albums, illustrés ou non, où pullulent des lutins facétieux, des phacochères bavards, des maisons-champignons, des fées effrayantes ou une future championne d’athlétisme de la banlieue d’Amiens entraînée par un vigile de supermarché. L’Ecole des Loisirs, qui édite la quasi-totalité de ses ouvrages pour enfants, estime avoir vendu à ce jour 2,3 millions de livres signés Marie Desplechin, dont deux succès maousse costauds traduits dans plus de douze langues : « Verte », écoulé à 860 000 exemplaires, ou sa série « Le Journal d’Aurore » acclamée par (au moins) 267 000 personnes, grandes et petites.Un jour, cette ex-journaliste, fan transie des « Malheurs de Sophie » devenue l’humble héritière des leçons de « vérité » de la comtesse de Ségur, a noté : « L’enfance est une forêt profonde. » Dans ce premier épisode, promenons-nous dans les bois tantôt ténébreux tantôt lumineux de sa prime jeunesse, à Roubaix, au creux des années 60-70, où s’enracine et bourgeonne encore la meilleure part de son imaginaire, marquée par des nuits « d’angoisse » et des peurs « extraordinaires ». On y trouve une plante exemplaire, la capucine, qui lui offrit en 2020 le titre d’un roman d’émancipation ainsi qu’un possible autoportrait. « Les capucines sont des plantes robustes. Il ne faut pas se faire trop de souci pour elles. Elles savent se débrouiller seules. » Enregistrement janvier 2021 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son, montage Sara Monimart Lectures Jennifer Anyoh, Stella Defeyder, Richard Gaitet, Delphine Saltel Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Percussions Johan Guidou Illustration Sylvain Cabot Remerciements très spéciaux Sofia Girard-Bresson, Vadim Girard-Bresson, Joseph Hirsch, Lou Marcelet Production ARTE Radio
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Jan 27, 2021 • 1h 6min

Nicolas Mathieu : Leurs enfants après eux : avant, pendant et après (3/3)

Leurs enfants après eux : avant, pendant et après Bookmakers #8 - L’écrivain du mois : Nicolas MathieuNé en 1978, Nicolas Mathieu vit et travaille à Nancy. Il est l’auteur de deux romans publiés aux éditions Actes Sud, « Aux animaux la guerre » (2014) et surtout « Leurs enfants après eux » (2018), écrit en dix-huit mois, et qui lui rapporte le Goncourt. Il a depuis signé deux livres : une excellente novella noire de 77 pages, « Rose Royal » (éditions In8, 2019, « histoire d’une quinqua qui boit trop et s’est jurée que plus jamais un mec ne lui mettrait la misère ») et un livre pour enfants, « La grande école », soit les drôles et tendres pensées d’un père célibataire qui regarde pousser son petit garçon, illustré par Pierre-Henry Gomont (Actes Sud, 2020).En partenariat avec Babelio (3/3) Leurs enfants après eux : avant, pendant et aprèsC’est un livre solaire, sensuel et brutal. Une histoire de bécane volée, d’ados « jeunes à crever » et d’amour à sens unique sous l’œil de fer d’un haut-fourneau éteint des Vosges. La tentative réussie, soignée, tendue, de « restituer », dans le bain des années 90, le sentiment d’abandon d’une population de « cocus de la mondialisation » souvent au bord de l’implosion, le temps de quatre étés décisifs, entre « monde finissant de la classe ouvrière » et « vies en devenir » qui bouillonnent de désirs – et, déjà, de désillusions.« Leurs enfants après eux », second roman de Nicolas Mathieu publié à la rentrée 2018 chez Actes Sud, traverse la « malédiction lente » de ce territoire armé d’une langue rapide, impure et vénère, qui brasse avec fougue argot et verlan, références populaires et punchlines nonchalantes, tout en conservant l’aplomb et le tranchant de ses maîtres franco-américains, mais sans virer à l’exercice de style, sans rouler des mécaniques – l’important, c’est le récit, toujours, riche en rebondissements, de la part d’un auteur qui dit avec joie avoir appris davantage en matant « Les Soprano » qu’en étudiant Tolstoï. Cela lui vaudra l’extrême-onction : le Goncourt, couronne qui, aujourd’hui encore, lui « pèse lourd ». Mais quelle fut sa discipline, pour un tel tour de force ? Comment travaille-t-il, lui qui « n’aime pas écrire, qui préfère avoir écrit ou réécrire », qui déteste « ce moment pénible où il faut arracher de la matière au vide » ? Lui qui, comme beaucoup d’entre nous, doit maintenant gérer aussi sa dépendance aux réseaux sociaux ? « Leurs enfants après eux » : avant, pendant et après, c’est maintenant.Le podcast Bookmakers devient une collection de livres !Nicolas Mathieu, Alice Zeniter et Maria Pourchet nous dévoilent les coulisses de la fabrication de leurs œuvres.Comment travaillent-ils leur plume ? Ils nous détaillent leurs secrets d'écriture, de leur discipline, à leur rythme de travail.Une coédition ARTE Éditions / Points. Enregistrement décembre 20 Entretien, découpage, lectures Richard Gaitet Prise de son, montage Sara Monimart Réalisation, musique originale et mixage Samuel Hirsch Guitare, trompette Fabien Girard Illustration Sylvain Cabot Production ARTE Radio
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Jan 27, 2021 • 41min

Nicolas Mathieu : Greffier de guerre (2/3)

Greffier de guerre Bookmakers #8 - L’écrivain du mois : Nicolas MathieuNé en 1978, Nicolas Mathieu vit et travaille à Nancy. Il est l’auteur de deux romans publiés aux éditions Actes Sud, « Aux animaux la guerre » (2014) et surtout « Leurs enfants après eux » (2018), écrit en dix-huit mois, et qui lui rapporte le Goncourt. Il a depuis signé deux livres : une excellente novella noire de 77 pages, « Rose Royal » (éditions In8, 2019, « histoire d’une quinqua qui boit trop et s’est jurée que plus jamais un mec ne lui mettrait la misère ») et un livre pour enfants, « La grande école », soit les drôles et tendres pensées d’un père célibataire qui regarde pousser son petit garçon, illustré par Pierre-Henry Gomont (Actes Sud, 2020).En partenariat avec Babelio (2/3) Greffier de guerre Entre 2005 et 2008, après une pelletée de petits boulots plus ou moins liés à l’écriture, Nicolas Mathieu devient à 27 ans une sorte de greffier industriel : son taf principal est de retranscrire tout ce qui se dit dans des réunions de comité d’entreprise au cours de liquidations ou de plans sociaux. Tôt le matin, l’auteur en devenir débarque alors – avec sa « tête de bobo » et son « petit ordi » – dans des usines du Nord de la France. « Il y avait une dramaturgie intense, les directions qui licencient et des ouvriers qui résistent. Un théâtre cruel, avec ses codes et sa langue brutale : des verbes comme “impacter”, “implémenter”, des expressions comme “je prends note”, formulées face à des mecs en bleu de travail, avec leurs grosses pognes et leurs chaussures de sécu, des braves types qui allaient peut-être perdre leur job. Je me suis vraiment plu en leur compagnie. Je retrouvais des allures, des paroles, des corps familiers : c’était mon père, mes oncles, leurs copains. »De ces retrouvailles adossées au regrettable crépuscule de la classe ouvrière, Nicolas Mathieu tire la matière d’un premier roman publié après quatre ans de travail acharné, dont il puise le titre dans une fable de La Fontaine. « Aux animaux la guerre » conte sur 450 pages la fermeture d’une usine de sous-traitance automobile des Vosges aux airs de « baleine échouée », la lassitude d’un syndicaliste pugnace en butte à de jeunes consultants parisiens aux « chaussures pointues » qui viennent « retailler l’organigramme », les combats d’une inspectrice du travail un chouïa alcoolo et les sévices d’un réseau de prostitution auquel est mêlé un ancien membre de l’OAS, qui fraye avec de violents margoulins...Dans le mille : son style ample et sombre est vite remarqué, le livre se vend au fil des années à 60 000 exemplaires et devient une série sur France 3 avec Roschdy Zem, Olivia Bonamy, Rod Paradot et Tchéky Karyo, qu’il co-écrit avec le réalisateur Alain Tasma. Ce qu’il nous raconte dans ce deuxièmle épisode en réglant son ardoise à l’un des patrons du polar français, Jean-Patrick Manchette (1942-1995), qui l’a aidé à établir « une position de tir ».Le podcast Bookmakers devient une collection de livres !Nicolas Mathieu, Alice Zeniter et Maria Pourchet nous dévoilent les coulisses de la fabrication de leurs œuvres.Comment travaillent-ils leur plume ? Ils nous détaillent leurs secrets d'écriture, de leur discipline, à leur rythme de travail.Une coédition ARTE Éditions / Points. Enregistrement décembre 20 Entretien, découpage, lectures Richard Gaitet Prise de son, montage Sara Monimart Réalisation, musique originale et mixage Samuel Hirsch Guitare, trompette Fabien Girard Illustration Sylvain Cabot Production ARTE Radio
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Jan 27, 2021 • 26min

Nicolas Mathieu : Le petit bleu du Grand-Est (1/3)

Le petit bleu du Grand-Est Bookmakers #8 - L’écrivain du mois : Nicolas MathieuNé en 1978, Nicolas Mathieu vit et travaille à Nancy. Il est l’auteur de deux romans publiés aux éditions Actes Sud, « Aux animaux la guerre » (2014) et surtout « Leurs enfants après eux » (2018), écrit en dix-huit mois, et qui lui rapporte le Goncourt. Il a depuis signé deux livres : une excellente novella noire de 77 pages, « Rose Royal » (éditions In8, 2019, « histoire d’une quinqua qui boit trop et s’est jurée que plus jamais un mec ne lui mettrait la misère ») et un livre pour enfants, « La grande école », soit les drôles et tendres pensées d’un père célibataire qui regarde pousser son petit garçon, illustré par Pierre-Henry Gomont (Actes Sud, 2020).En partenariat avec Babelio (1/3) Le petit bleu du Grand-Est« C’est très intimidant d’écrire quand on vient d’un milieu modeste », rappelle, souvent, Nicolas Mathieu. On peut considérer sans se gourer que le petit bleu du Grand-Est a vaincu sa timidité. Deux romans, une novella, quelques nouvelles ici ou là et un récent livre illustré pour enfants : en seulement six ans, ce fils d’une comptable et d’un réparateur d’ascenseur syndiqué CFDT a su amorcer une œuvre reconnaissable au premier regard, à la jonction de sa passion libératrice pour le roman noir et des observations sociologiques « au couteau » d’Annie Ernaux. Après « Aux animaux la guerre », écrit au prix d’un burn-out et publié aux éditions Actes Sud en 2014, Nicolas Mathieu fait dévisser l’ascenseur social en remportant le Goncourt à 40 ans pour « Leurs enfants après eux », traduit en vingt langues et écoulé à 530 000 exemplaires.« J’écris à la place de mon père. J’écris pour celui que j’étais à chaque fois qu’on m’a humilié. J’écris pour les esclaves dont je suis et qu’on trouve dans le RER, les usines, les open spaces, ceux dont le temps est dévoré par une mécanique sans queue ni tête qui produit de la bêtise et dévore la terre sous nos pieds. J’écris pour tous ceux qui pourraient se dire en contemplant leur vie : est-ce tout ? », confie aussi celui dont la colère reste l’un des carburants. La colère contre « les mensonges, le tout falsifié », contre « ce que la vie fait à nos corps », mais aussi contre lui-même ; longtemps, Nicolas Mathieu a eu honte de ses origines sociales, puis il a eu honte d’avoir eu honte. Dans ce premier épisode, penchons-nous sur ses années lycée, en Lorraine, à Epinal, où tant de choses se sont cristallisées. Il l’avoue désormais avec fierté : « Tout ce que j’ai détesté pendant des années, eh bien, aujourd’hui, je l’ai dans la peau. Mon métier, c’est de montrer cette ambivalence. »Le podcast Bookmakers devient une collection de livres !Nicolas Mathieu, Alice Zeniter et Maria Pourchet nous dévoilent les coulisses de la fabrication de leurs œuvres.Comment travaillent-ils leur plume ? Ils nous détaillent leurs secrets d'écriture, de leur discipline, à leur rythme de travail.Une coédition ARTE Éditions / Points. Enregistrement décembre 20 Entretien, découpage, lectures Richard Gaitet Prise de son, montage Sara Monimart Réalisation, musique originale et mixage Samuel Hirsch Guitare, trompette Fabien Girard Illustration Sylvain Cabot Production ARTE Radio
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Dec 16, 2020 • 53min

Lola Lafon : Gymnastique rythmique (3/3)

Gymnastique rythmique Bookmakers #7 - L’écrivaine du mois : Lola LafonNée en 1974, Lola Lafon est l’autrice de six romans qui mettent en scène des trajectoires féminines singulières, en interrogeant la violence et les mensonges de la société à leur égard : « Une fièvre impossible à négocier » (2003), « De ça je me console » (2007), « Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s'annonce » (2011), « La Petite Communiste qui ne souriait jamais » (2014), « Mercy, Mary, Patty » (2016) et « Chavirer » (2020), prix du roman des étudiants France Culture – Télérama.En partenariat avec Babelio (3/3) Gymnastique rythmique« L’écriture est ce compromis entre une liberté, une histoire et un souvenir », dit souvent Lola Lafon en citant Roland Barthes. Le souvenir qui préside à ce troisième épisode est celui-ci : été 1976, Jeux Olympiques de Montréal, une gymnaste roumaine de 14 ans, Nadia Comaneci, subjugue le monde entier via une série de performances en apesanteur, dont le fameux « 10 parfait » dès le premier jour de la compétition. Pour Lola, le mythe qui entoure « Nadia C. » est la somme de toutes ses thématiques fétiches : « le corps féminin, la danse, le mouvement, la confrontation est-ouest... » Elle s’attelle donc à l’écriture d’une « fausse biographie » de l’athlète, composée sans le concours de la principale intéressée, conçue comme une « rêverie » formidablement documentée, au plus près des « silences » de celle dont la « biomécanique » légendaire n’exista qu’au travers de regards masculins (juges, coach, politiques, médias). Ce qui deviendra « La Petite Communiste qui ne souriait jamais », publié en 2014 aux éditions Actes Sud, vendu à 125 000 exemplaires et traduit en douze langues.Voici donc, dans ce troisième et dernier épisode, les coulisses de ce best-seller pour lequel Lola Lafon voyagea de Bucarest à New York, en rouvrant au passage le roman « Blonde » de Joyce Carol Oates sur Marilyn Monroe. Pour Bookmakers, elle s’attarde sur sa discipline quotidienne, ses trois journaux de recherches, son travail de « coupe » de plus en plus drastique, l’enchaînement de ses phrases qu’elle aimerait aussi millimétrées que les acrobaties de la sportive sur la poutre ; ou encore sur la fiction vue comme un « territoire de doute, d’hésitation, de flexion », en un mot : souple. Enregistrement novembre 20 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son, montage Sara Monimart Lectures Judith Margolin Réalisation, musique originale et mixage Samuel Hirsch Flûte basse Emma Broughton Illustration Sylvain Cabot Production ARTE Radio
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Dec 16, 2020 • 31min

Lola Lafon : Pour amie la fièvre (2/3)

Pour amie la fièvre Bookmakers #7 - L’écrivaine du mois : Lola LafonNée en 1974, Lola Lafon est l’autrice de six romans qui mettent en scène des trajectoires féminines singulières, en interrogeant la violence et les mensonges de la société à leur égard : « Une fièvre impossible à négocier » (2003), « De ça je me console » (2007), « Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s'annonce » (2011), « La Petite Communiste qui ne souriait jamais » (2014), « Mercy, Mary, Patty » (2016) et « Chavirer » (2020), prix du roman des étudiants France Culture – Télérama.En partenariat avec Babelio (2/3) Pour amie la fièvreLe titre colle encore des suées à notre époque : « Une fièvre impossible à négocier », son premier roman très autobiographique publié en 2003 chez Flammarion et vendu à dix mille exemplaires, vaut à Lola Lafon, 29 ans, d’être immédiatement « repérée » par le gratin germanopratin – elle qui vécut en squat avec l’équivalent du RSA, entourée de militant.e.s anarchistes qui musclaient les rangs des milieux autonomes dans les années 90. « Ce n’est pas qu’elle s’ennuie. Landra n’est pas malheureuse. Elle est juste un peu seule, partout. » Sa narratrice, musicienne, n’est « ni étudiante ni vraiment galérienne », mais « l’engagement politique lui tombe dessus comme la foudre ». Alors cette « gentille petite fille longtemps obéissante » manifeste pour les sans-papiers et les Indiens du Chiapas, contre les cathos intégristes anti-avortement, casse des vitrines ou débarque en masse à l’agence de pub responsable de ce slogan authentiquement écœurant des chocolats Suchard : « Quand vous dites non, on entend oui. »Combats que son alter-ego relate dans une sorte de journal débraillé, souvent furieux, qui démarre comme un reportage en immersion au sein d’un groupuscule nommé « Etoiles Noires Express », qui lui permettra de survivre à l’autre sujet du livre : cette « nuit du 14 septembre » où Landra fut violée par un musicien célèbre d’apparence « cool » et « insoupçonnable », auquel elle rêve d’« exploser la gueule » puisqu’il a fait d’elle « une bombe à retardement ».Dans ce deuxième épisode, prenons le temps de revenir sur cette nerveuse entrée en littérature qui, de tous les côtés, porte en elle l’œuvre à venir, jusqu’à présenter des échos, dix-sept ans plus tard, avec « Chavirer », roman glaçant sur une société secrète de prédateurs sexuels, paru à la rentrée chez Actes Sud et déjà écoulé à 67 000 exemplaires. Enregistrement novembre 20 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son, montage Sara Monimart Lectures Judith Margolin Réalisation, musique originale et mixage Samuel Hirsch Flûte basse Emma Broughton Illustration Sylvain Cabot Production ARTE Radio

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