Bookmakers : le making-of de la littérature

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Jun 19, 2024 • 50min

Laura Vazquez : La main heureuse (1/3)

La main heureuse Bookmakers #30 - L'autrice du mois : Laura Vazquez.Née en 1986 à Perpignan, Laura Vazquez écrit des poèmes, parfois peuplés d’êtres minuscules et de corps endommagés, publiés en revues, qu’elle lit depuis le début des années 2010 sur la plupart des scènes poétiques de l’Hexagone, traduits en chinois, anglais, espagnol, portugais, norvégien, néerlandais ou arabe. Son premier roman, « La Semaine perpétuelle », sorti en 2021 aux éditions du sous-sol, est distingué d’une mention spéciale du prix Wepler et vendu à dix mille exemplaires. En 2023, elle obtient – à 36 ans – le Goncourt de la poésie pour « Le Livre du Large et du Long », une « épopée versifiée » de 400 pages, en cinq actes, écoulée à cinq mille exemplaires. Elle vit et travaille à Marseille.Laura Vazquez (1/3)Ses poèmes sans rimes parlent de médecins fétichistes, d’un chien cassé, du ciel « taré » ou du poids de la voix dans l’air. Depuis dix ans, Laura Vazquez travaille six jours sur sept en « pliant sa langue » pour atteindre quelque chose « qui la dépasse ». Dans « Le Livre du Large et du Long », elle prête les mots suivants à sa narratrice : « Parfois je me dis, lorsque j’écris je pèle. Pèle une grande forme circulaire transparente, c’est une goutte sans limite, elle flotte dans mon esprit et j’en pèle des couches. Elles tombent comme des épluchures. »Comment expliquer l’aura de Laura Vazquez, qui épluche ses intuitions « en avançant dans la brume » ? Quel a été le parcours de cette fille d’employé·e·s de supermarché, qui a « souvent eu l’impression d’avoir du retard, de devoir lire énormément », et qui cite les grands anciens de la Grèce Antique, Homère, Lucrèce ou Démocrite ? Dans ce premier épisode, l’autrice évoque ses premiers textes (des prières, pour sauver sa grand-mère), sa scolarité hasardeuse, deux années en Espagne où elle gagne sa vie en chantant dans la rue France Gall ou Barbara, ou la sortie en 2014 de son premier livre, « La main de la main » aux éditions Cheyne, auréolé du prix de la Vocation.  Enregistrement avril-mai 2024 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez et Marine Vlahovic Montage Mathilde Guermonprez Réalisation, mixage Charlie Marcelet Lectures Samuel Hirsch, Timothée Lerolle, Claire Richard Musiques originales Samuel Hirsch Guitare Raphaël Morel-Novak Illustration Sylvain Cabot Remerciements Jean-Baptiste Imbert, Samuel Leroy-Vergnes Production ARTE Radio
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Apr 17, 2024 • 53min

Nancy Huston : Branchée sur 100 000 virevoltes (3/3)

Branchée sur 100 000 virevoltes Bookmakers #29 - L'autrice du mois : Nancy HustonNée en 1953 à Calgary (Canada), Nancy Huston est l’autrice de plus de 70 livres depuis 1979, publiés pour la plupart aux éditions Actes Sud. Parmi son flot de romans, essais, poèmes, pièces de théâtre, scénarios, chansons et traductions, citons « Journal de la création » (1990, captivante étude de couples d’écrivain·e·s), « Instruments des ténèbres » (1996, Goncourt des lycéens et du prix du Livre Inter, vendu à 130 000 exemplaires), « Lignes de faille » (2006, prix Femina, écoulé à 400 000 exemplaires rien qu’en France et traduit en quarante-cinq langues) ou « Bad Girl » (2014, formidable « autobiographie intra-utérine » qui éclaire toute son œuvre). Depuis 1973, elle vit et travaille à Paris.Nancy Huston (3/3)Pendant vingt ans, Nancy Huston a écrit tous ses textes en français, sa langue d’adoption. Puis – à partir de « Cantique des plaines » (1993), l’intrépide Canadienne s’est remise à écrire directement dans sa langue maternelle, l’anglais, avant… de traduire elle-même en français le roman du moment, avec de très nombreux allers-retours entre les deux versions. Au final, seule la version française parvient à ses éditeurs et éditrices. C’est « deux fois plus de boulot », mais les problèmes rencontrés dans une langue solutionnent ceux rencontrés dans l’autre. « Être dedans-dehors, dit-elle, c'est la position idéale. Si on se confond trop avec sa culture, on ne peut pas se mettre à distance pour l'analyser. »Une tournure d’esprit qu’elle partage avec l’Irlandais Samuel Beckett, désigné comme son « frère » et son « pied » dans un curieux livre hommage, « Limbes / Limbo ». Il sera aussi question d’un autre exilé grandiose, l’auteur de « La Promesse de l’aube », à propos duquel Nancy imagina le très précis « Tombeau de Romain Gary », qui lui montra qu’il fallait « non pas laisser derrière soi deux ou trois livres, mais toute une étagère ».Dans ce troisième et dernier épisode, l’autrice de « La Virevolte » raconte également sa routine quotidienne. « Être seule du matin au soir, ne vivre qu’avec des personnes imaginaires, vous trouvez cela normal ? Les gens normaux vivent dans un monde à trois dimensions. Moi, j’en ai une quatrième. Avec une autre circulation des significations. Si je n’ai pas ma dose de solitude dans la journée, je deviens très malheureuse et méchante. »  Enregistrement mars 2024 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Juliette Cordemans Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Clavecin Thomas Loupias Illustration Sylvain Cabot Remerciements Emma Bouvier, Victoire Tuaillon Production ARTE Radio
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Apr 17, 2024 • 54min

Nancy Huston : Pleine de cantiques (2/3)

Pleine de cantiques Bookmakers #29 - L'autrice du mois : Nancy HustonNée en 1953 à Calgary (Canada), Nancy Huston est l’autrice de plus de 70 livres depuis 1979, publiés pour la plupart aux éditions Actes Sud. Parmi son flot de romans, essais, poèmes, pièces de théâtre, scénarios, chansons et traductions, citons « Journal de la création » (1990, captivante étude de couples d’écrivain·e·s), « Instruments des ténèbres » (1996, Goncourt des lycéens et du prix du Livre Inter, vendu à 130 000 exemplaires), « Lignes de faille » (2006, prix Femina, écoulé à 400 000 exemplaires rien qu’en France et traduit en quarante-cinq langues) ou « Bad Girl » (2014, formidable « autobiographie intra-utérine » qui éclaire toute son œuvre). Depuis 1973, elle vit et travaille à Paris.Nancy Huston (2/3)D’après Nancy Huston, « le roman naît de la rencontre de l’autre, qui apporte l’ironie et l’incertitude ». Pour devenir écrivain·e, elle conseille de développer les qualités suivantes : « L’écoute, l’observation, la suspension du jugement. Et puis : une alternance savamment orchestrée entre mégalomanie et modestie. » Elle se compare littérairement à un « serpent » : affamée « des souvenirs des autres », « addict aux êtres humains », cette conteuse hypersensible adore se glisser sous de nouvelles peaux pour « explorer les joies du déguisement », poussée par son « empathie désespérée ».Ce deuxième épisode déambule dans les collines de l’impressionnant corpus hustonien. Sont évoqués son premier roman, « Les Variations Goldberg » (1981), qui permet de revenir sur sa pratique du piano et du clavecin ; la terrible « Histoire d’Omaya » (1985), sur le viol d’une jeune femme ; « Cantique des plaines » (1993), à propos des souffrances amérindiennes dans sa région natale de l’Alberta, vendu à 80 000 exemplaires ; « Une Adoration » (2003), polyphonie judiciaire autour de l’assassinat d’un comédien et dont l’écriture a survécu à un faux-départ ; ou « Francia », roman documenté d’une journée dans la vie d’une prostituée transsexuelle colombienne du bois de Boulogne, 2024). Three, two, one : let’s go to Huston.  Enregistrement mars 2024 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Juliette Cordemans Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Clavecin Thomas Loupias Illustration Sylvain Cabot Remerciements Emma Bouvier, Victoire Tuaillon Production ARTE Radio
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Apr 17, 2024 • 51min

Nancy Huston : Failles alignées (1/3)

Failles alignées Bookmakers #29 - L'autrice du mois : Nancy Huston.Née en 1953 à Calgary (Canada), Nancy Huston est l’autrice de plus de 70 livres depuis 1979, publiés pour la plupart aux éditions Actes Sud. Parmi son flot de romans, essais, poèmes, pièces de théâtre, scénarios, chansons et traductions, citons « Journal de la création » (1990, captivante étude de couples d’écrivain·e·s), « Instruments des ténèbres » (1996, Goncourt des lycéens et du prix du Livre Inter, vendu à 130 000 exemplaires), « Lignes de faille » (2006, prix Femina, écoulé à 400 000 exemplaires rien qu’en France et traduit en quarante-cinq langues) ou « Bad Girl » (2014, formidable « autobiographie intra-utérine » qui éclaire toute son œuvre). Depuis 1973, elle vit et travaille à Paris.Nancy Huston (1/3)C’est une Calamity Jane du Canada qui s’installe presque sans un sou à Paris, à 20 ans, avec le besoin « de comprendre, de réparer, de lever l’interdit de la discrétion et de la politesse », en faisant « l’éloge de tout ce qui déstabilise ». Pour ce trentième numéro de « Bookmakers », place à Nancy Huston, cowgirl bilingue « sauvagement honnête » venue des plaines de l’Alberta, « à l’aise dans ses santiags » et pourtant allergique aux chevaux. Féministe historique, elle a « toujours vécu frénétiquement, avec son carnet à la main, des horaires de travail extrêmement stricts et un patron intérieur incroyablement sévère ».Dans ce premier épisode, elle revient sur l’événement de son enfance qui l’a « ébréchée » au point d’écrire si souvent des histoires de familles déboussolées, meurtries, recomposées. Sur son personnage-totem : Alice au pays des merveilles. Sur les leçons du redouté Roland Barthes, sous la direction duquel elle écrivit un mémoire sur les insultes. Ou sur les revues « Sorcières » et « Histoires d’elles », dans lesquelles elle publia ses premiers textes, qui « fourmillaient de calembours ».  Enregistrement mars 2024 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Juliette Cordemans Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Clavecin Thomas Loupias Illustration Sylvain Cabot Remerciements Emma Bouvier, Victoire Tuaillon Production ARTE Radio
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Feb 21, 2024 • 46min

Wajdi Mouawad : Là-haut sur La Colline (3/3)

Là-haut sur La Colline Bookmakers #28 - L'auteur du mois : Wajdi MouawadNé en 1968 près de Beyrouth, Wajdi Mouawad est l’un des dramaturges les plus joués du théâtre francophone, avec près de vingt-cinq pièces écrites et mises en scène par ses soins depuis le début des années 90, dont l’incontournable « Incendies » (2003), adaptée au cinéma par Denis Villeneuve. Traduits en vingt langues, co-édités par Actes Sud et la maison québécoise Léméac, ses drames familiaux, riches en apparitions surnaturelles autant qu’en engueulades réparatrices, sont montés au Japon, au Brésil, en Espagne, au Maroc, aux États-Unis, en Corée du Sud, en Argentine ou en Australie.Récompensé par les plus hautes instances au Québec ou en Allemagne, il refuse poliment un Molière en 2005 pour souligner l’indifférence des grands théâtres à l’égard de la création contemporaine, tandis que l’Académie française lui remet en 2009 un prix pour l’ensemble de son œuvre. Depuis 2016, il dirige le théâtre national de La Colline, à Paris.Wajdi Mouawad (3/3)Outre ses propres textes, Wajdi Mouawad adapta sur scène, ces trente dernières années, « Macbeth » sur un parking de nuit, les épopées galactiques de la saga « Fondation » d’Isaac Asimov, les dépendances toxiques du roman « Trainspotting » d’Irvine Welsh ou l’intégrale des tragédies de Sophocle. Parallèlement, l’auteur de « Tous des oiseaux » arpenta en solitaire les territoires du roman. D’abord avec « Visage retrouvé » (2002), sur son enfance libanaise, vendu à 13 000 exemplaires. Puis avec « Anima » (2012), enquête américaine sur un meurtre raconté durant 500 pages du point de vue de dizaines d’animaux (canari, mouche, fourmi, cheval), écoulé à 82 000 exemplaires et sacré du grand prix de la Société des Gens De Lettres.Mais quelles différences fait-il avec son écriture théâtrale ? Changer de forme, de support, est-ce la façon la plus simple de se renouveler ? Car le sujet le hante. En 2002, dans sa pièce intitulée « Rêves », le héros se faisait reprocher par le fantôme de Lautréamont de « toujours réécrire ce qu’il sait déjà écrire ». En 2005, en interview, Wajdi se demandait : « Comment ne pas être le touriste de sa propre création ? » En 2010, dans son livre « Le poisson-soi », il notait : « Je voudrais tellement ne plus avoir à dire Je. Ne plus m’occuper de rien. Que quelqu’un dise Il pour moi. Qu’on me débarrasse. » Comment renaître, artistiquement, sans se tuer ? C’est la question finale, ou presque, de ce troisième et dernier acte, dans lequel le directeur de La Colline évoque en détails la vie économique d’un auteur de théâtre, c’est-à-dire : la monnaie de ses pièces. Enregistrement janvier 2024 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Juliette Cordemans Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Clarinette Paul Laurent Lectures Sabine Zovighian Illustration Sylvain Cabot Remerciements Alice Zeniter, Joseph Hirsch Production ARTE Radio
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Feb 21, 2024 • 50min

Wajdi Mouawad : Inflammation du verbe dire (2/3)

Inflammation du verbe dire Bookmakers #28 - L'auteur du mois : Wajdi MouawadNé en 1968 près de Beyrouth, Wajdi Mouawad est l’un des dramaturges les plus joués du théâtre francophone, avec près de vingt-cinq pièces écrites et mises en scène par ses soins depuis le début des années 90, dont l’incontournable « Incendies » (2003), adaptée au cinéma par Denis Villeneuve. Traduits en vingt langues, co-édités par Actes Sud et la maison québécoise Léméac, ses drames familiaux, riches en apparitions surnaturelles autant qu’en engueulades réparatrices, sont montés au Japon, au Brésil, en Espagne, au Maroc, aux États-Unis, en Corée du Sud, en Argentine ou en Australie.Récompensé par les plus hautes instances au Québec ou en Allemagne, il refuse poliment un Molière en 2005 pour souligner l’indifférence des grands théâtres à l’égard de la création contemporaine, tandis que l’Académie française lui remet en 2009 un prix pour l’ensemble de son œuvre. Depuis 2016, il dirige le théâtre national de La Colline, à Paris.Wajdi Mouawad (2/3)Rideau sur le chagrin. Les pièces de Wajdi Mouawad démarrent souvent par la mort. Celle de sa mère, que l’auteur perdit à 19 ans, dans « Mère » (2021). Celle de la grand-mère dans « Pacamambo », troublant spectacle pour enfants (2000). Celles des victimes de l’explosion du port de Beyrouth en 2020, qui ouvrait – en vidéo – les six heures de « Racine carrée du verbe être » (2022). Ou encore celle de l’inoubliable Nawal dans « Incendies », dont l’édition papier se vendit à plus de 100 000 exemplaires et dont Wajdi Mouawad raconte, ici, le brasier originel.Comment écrire pour la scène ? Qu’apporte la troupe aux personnages ? À quoi sert une didascalie ? À quoi correspond l’état « d’hypnose » dans lequel il se met pour accoucher de ses monologues finaux ? C’est l’enjeu de notre acte deux, en compagnie d’un graphomane à lunettes qui déclara un jour : « La mise en scène, ça me gonfle. C’est compliqué, il faut gérer une chaise qui doit sortir et une chaise qui doit rentrer. C’est lourd, pénible. Si je trouvais un metteur en scène qui pouvait entrer dans ma tête pour monter mes pièces, je ne ferais plus de mise en scène. Mais je n’ai pas trouvé encore. Alors, à défaut, je les monte moi-même, mes pièces. Ce que j’aime, c’est raconter des histoires. » Enregistrement janvier 2024 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Juliette Cordemans Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Clarinette Paul Laurent Lectures Sabine Zovighian Illustration Sylvain Cabot Remerciements Alice Zeniter, Joseph Hirsch Production ARTE Radio
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Feb 21, 2024 • 58min

Wajdi Mouawad : Un obus dans le cœur (1/3)

Un obus dans le cœur Bookmakers #28 - L'auteur du mois : Wajdi MouawadNé en 1968 près de Beyrouth, Wajdi Mouawad est l’un des dramaturges les plus joués du théâtre francophone, avec près de vingt-cinq pièces écrites et mises en scène par ses soins depuis le début des années 90, dont l’incontournable « Incendies » (2003), adaptée au cinéma par Denis Villeneuve. Traduits en vingt langues, co-édités par Actes Sud et la maison québécoise Léméac, ses drames familiaux, riches en apparitions surnaturelles autant qu’en engueulades réparatrices, sont montés au Japon, au Brésil, en Espagne, au Maroc, aux États-Unis, en Corée du Sud, en Argentine ou en Australie.Récompensé par les plus hautes instances au Québec ou en Allemagne, il refuse poliment un Molière en 2005 pour souligner l’indifférence des grands théâtres à l’égard de la création contemporaine, tandis que l’Académie française lui remet en 2009 un prix pour l’ensemble de son œuvre. Depuis 2016, il dirige le théâtre national de La Colline, à Paris.Wajdi Mouawad (1/3)C’est un oiseau rare, au plumage marqué par l’exil. Un fougueux pour qui le théâtre demeure une « boussole », qui écrit guidé par « le désir ardent de colmater les déchirures, les peines et l’ennui profond ». Forcée de fuir le Liban en raison des bombardements de la guerre civile, la famille de Wajdi Mouawad s’installe en 1978 à Paris, puis quelques années plus tard à Montréal, où l’École nationale de théâtre sauve de la dépression le futur auteur de « Littoral » ou de « Seuls », en lui offrant à la fois « le chemin » et son seul diplôme. D’abord comédien, il se met à l’écriture pour « partager un hurlement, exorciser des peurs, commettre des attentats de façon symbolique, déposer des bombes dans la tête des gens. Que ça cogne. »Ses cris ont été entendus. Mais comment la lecture de Kafka, adolescent, l’a-t-elle métamorphosé jusqu’à l’obsession ? Que doit-il à son grand frère, Naji ? Aux chansons de Brel ou de Renaud ? Peut-on fleurir quand on a été plusieurs fois déraciné ? Ce sont certaines des scènes du premier acte de cette conversation, qui revient sur ces années de formation où Wajdi Mouawad n’était « qu’un verre qui attendait d’être rempli ». Enregistrement janvier 2024 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Juliette Cordemans Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Clarinette Paul Laurent Lectures Sabine Zovighian Illustration Sylvain Cabot Remerciements Alice Zeniter, Joseph Hirsch Production ARTE Radio
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Dec 13, 2023 • 45min

André Markowicz : Métrique et astuces (3/3)

Métrique et astuces Bookmakers #27 - L'auteur du mois : André MarkowiczNé à Prague en 1960, André Markowicz a traduit « tout » Dostoïevski, c’est-à-dire les romans et nouvelles en quarante-cinq volumes de l’auteur des « Frères Karamazov » (Actes Sud). Il est aussi, avec l’aide inestimable de Françoise Morvan, le traducteur du théâtre complet d’Anton Tchekhov ou de Nicolas Gogol. Ou encore l’oreille précieuse qui mit près de vingt-cinq ans à restituer les 6500 vers d’« Eugène Onéguine » d’Alexandre Pouchkine. Tout ceci, parmi plus de 150 ouvrages depuis 1981, traduits du russe, de l’anglais, du latin ou du breton, aux éditions Mesures, Inculte ou José Corti. Il vit et travaille à Rennes.André Markowicz (3/3)Un traducteur est un auteur. André Markowicz le prouve chaque jour depuis quarante ans, d’un pays à l’autre, d’une forme à l’autre – y compris quand il s’échine à chercher le ton juste d’un personnage… dans une simple blague juive. Parmi les cent cinquante livres que compte sa bibliographie, on lui doit 14 pièces de Shakespeare aux éditions Les Solitaires Intempestifs, 401 poèmes chinois du VIIIe siècle (dans son chantier le plus fou : « Ombres de Chine », aux éditions Inculte) ou encore une nouvelle version du chef-d’œuvre de Mikhail Boulgakov, « Le Maître et Marguerite », traduit avec Françoise Morvan, toujours aux éditions Inculte – ce qu’il décrit parfois comme « l’aboutissement de tout son travail de traducteur de la littérature russe ».Mais ces ouvrages, composés avec la même fièvre de partage, ne doivent pas occulter les milliers de pages signées par Markowicz en solo. Ce maître en métrique est l’auteur de quatre recueils de poèmes quasi confidentiels (« Figures », « Herem »), d’un récit autobiographique en vers et sans point, à lire d’un seul souffle, sur l’appartement de sa grand-mère (« L’Appartement », Inculte). D’un sidérant journal public tenu depuis dix ans sur Facebook, à raison d’une chronique tous les deux jours, matière première des épais volumes de sa série « Partages » qui paraît maintenant chez Mesures, maison d’édition indépendante qu’il a créée avec Françoise Morvan. Ou récemment d’un tout petit essai géopolitique et littéraire, intitulé « Et si l’Ukraine libérait la Russie ? » (Le Seuil), vendu à dix mille exemplaires.Tels sont certains des sujets évoqués dans la toundra de ce troisième et dernier épisode, en compagnie d’un homme qui s’est longtemps senti « gêné, comme empêché d’écrire ». Un créateur qui ne traduit que des morts. Et qui, étrangement, ne semble pas plus inquiet que ça face à l’invasion des intelligences artificielles. Auquel on ne peut que souhaiter, en citant sa traduction du tout dernier poème de Vladimir Maïakovski, qu’il n’ait jamais « la honte de devenir raisonnable ». Enregistrement octobre 2023 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son, montage Mathilde Guermonprez Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Lectures Sabine Zovighian, Perrine Kervran, Mina Souchon Illustration Sylvain Cabot Production ARTE Radio
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Dec 13, 2023 • 41min

André Markowicz : Maousse Dosto (2/3)

Maousse Dosto Bookmakers #27 - L'auteur du mois : André MarkowiczNé à Prague en 1960, André Markowicz a traduit « tout » Dostoïevski, c’est-à-dire les romans et nouvelles en quarante-cinq volumes de l’auteur des « Frères Karamazov » (Actes Sud). Il est aussi, avec l’aide inestimable de Françoise Morvan, le traducteur du théâtre complet d’Anton Tchekhov ou de Nicolas Gogol. Ou encore l’oreille précieuse qui mit près de vingt-cinq ans à restituer les 6500 vers d’« Eugène Onéguine » d’Alexandre Pouchkine. Tout ceci, parmi plus de 150 ouvrages depuis 1981, traduits du russe, de l’anglais, du latin ou du breton, aux éditions Mesures, Inculte ou José Corti. Il vit et travaille à Rennes.André Markowicz (2/3)Un jour, la mère d’André Markowicz, professeure de littérature russe, ouvre une traduction française de « L'Idiot » de Dostoïevski. Dans la scène d’anniversaire où le piètre fonctionnaire Lebedev délire à bloc en voyant de l'argent jeté au feu, elle ne reconnaît pas le texte original. Les trois autres traductions qu’elle emprunte ne respectent pas non plus, diable, les flammes initiales ; toutes s'acharnent à rendre cohérentes les invraisemblances du personnage déboussolé.Le jeune André n’oubliera pas cette anecdote. En 1990, dans le métro, face à Hubert Nyssen, fondateur des éditions Actes Sud, pour lequel il vient de servir d’interprète, Markowicz suggère de retraduire Dostoïevski. Au motif que les précédentes traductions ont trop policé le style – bien qu’elles aient permis, reconnaît-il, à Proust ou à Gide de s’engouffrer dans la prose possédée de l’auteur des « Carnets du sous-sol ». Trêve d’élégance excessive à la française : l’oralité furieuse de Dostoïevski sera célébrée avec force répétitions et maladresses de syntaxe, n’en déplaise aux puristes. Trois ans plus tard, sur France 3, André Markowicz explique honorer ainsi une écriture qui existe « en dépit de toutes les règles, en faisant tout pour ne pas faire un roman français, ne pas écrire comme un marquis, mais avec un débordement de passion, une langue en fusion, sans aucune norme, à part celle que l’on crée, là, sur-le-champ ». Ses adversaires questionnent sa légitimité, parce qu’André n’est pas universitaire. On le voit pourtant – c’est rare, pour un traducteur – dans « Paris-Match » ; avec, sur la page d’en face, le mannequin Claudia Schiffer dans sa baignoire. Puis « L’Obs » lui consacre trois pages où se querellent anciens et modernes, en parlant de « véhémence emberlificotée » à propos de sa version de « L’Idiot ». Markowicz se confie au « Monde » : « Voilà une chose que j’ai réussie, au moins : qu’on remarque que le bouquin est traduit. »Ce rigoureux russophone est donc de ceux qui, comme dans « Crime et châtiment », ont « le don ou le talent de dire une parole nouvelle ». Cela marche aussi au théâtre : André Markowicz a participé à plus d’une centaine de mises en scène de ses traductions cosignées avec Françoise Morvan, en France, au Québec, en Belgique ou en Suisse, remaniant souvent le texte à l’épreuve du plateau. Hubert Nyssen disait de lui : « J'ai rarement vu quelqu'un qui s'intéresse autant à la mise en bouche d'un texte. ». Dans ce deuxième épisode, laissons de nouveau sa voix nous guider. Enregistrement octobre 2023 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son, montage Mathilde Guermonprez Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Lectures Sabine Zovighian, Perrine Kervran, Mina Souchon Illustration Sylvain Cabot Production ARTE Radio
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Dec 13, 2023 • 48min

André Markowicz : L’oreille russe (1/3)

L’oreille russe Bookmakers #27 - L'auteur du mois : André MarkowiczNé à Prague en 1960, André Markowicz a traduit « tout » Dostoïevski, c’est-à-dire les romans et nouvelles en quarante-cinq volumes de l’auteur des « Frères Karamazov » (Actes Sud). Il est aussi, avec l’aide inestimable de Françoise Morvan, le traducteur du théâtre complet d’Anton Tchekhov ou de Nicolas Gogol. Ou encore l’oreille précieuse qui mit près de vingt-cinq ans à restituer les 6500 vers d’« Eugène Onéguine » d’Alexandre Pouchkine. Tout ceci, parmi plus de 150 ouvrages depuis 1981, traduits du russe, de l’anglais, du latin ou du breton, aux éditions Mesures, Inculte ou José Corti. Il vit et travaille à Rennes.André Markowicz (1/3)En France, c’est le tsar bizarre, envoûté et envoûtant, de la littérature russe. Un polyglotte professionnel qui se situe toujours « entre deux mondes », « entre la langue de départ et celle de l’arrivée », entre la langue de sa petite enfance moscovite et celle de sa vie d’adulte, entre Paris, Rennes et les villes où son goût du théâtre l’emporte. « Je commence par taper, très vite. En français, sans réfléchir. Je ne lis jamais l'œuvre auparavant – ce qui est hérétique pour beaucoup de mes collègues. Quand on lit, les yeux glissent. Or, quand on traduit, les yeux plongent. Traduire, c'est une lecture en verticale. On ne fait pas attention aux idées, mais aux mots. Petit à petit, je commence à voir des trucs bizarres, qui me choquent, qui me gênent, des expressions russes un peu étranges, qu'on ne s'attendrait pas à trouver dans le contexte. Et c'est toujours l'essentiel. Je construis l'interprétation à partir des bizarreries. »Mais d’où vient le sens du tempo de cette bibliothèque sur pattes, qui déclare avec joie n’avoir jamais pris de vacances depuis trente ans ? Que met-il dans son samovar matinal ? Qu’a-t-il retenu de son mentor au physique de « colosse », le linguiste et dissident russe Efim Etkind, qui l’invite – à 16 ans – à rejoindre son cercle de traducteurs ? Cette école « des mots, des sons, de la construction », qui a tant marqué Markowicz. « Le geste premier du traducteur, dit-il, est celui du partage. Il aime et il a les moyens de faire aimer à d’autres. Ensuite viennent les questions techniques, les impossibles, les affres. » Les portes s’ouvrent enfin sur ce premier épisode : au coin du feu, entrons dans la datcha mentale de Monsieur. Enregistrement octobre 2023 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son, montage Mathilde Guermonprez Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Lectures Sabine Zovighian, Perrine Kervran, Mina Souchon Illustration Sylvain Cabot Production ARTE Radio

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