02 - Comment achever une œuvre ? Travail et processus de création
Mar 8, 2019
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Pierre-Michel Menger est sociologue au Collège de France, expert en sociologie du travail créateur. Il aborde la complexité du travail artistique, soulignant comment authenticité et imagination transcendent les normes. Il explore la dynamique entre effort créatif et attentes sociétales, ainsi que les tensions entre contraintes et créativité. Menger discute également de l'importance du hasard dans le processus créatif, tout en analysant le rôle de l'inachevé dans la quête artistique, révélant la profondeur de la vie des artistes.
Le travail créateur valorise l'authenticité et l'expression de l'intériorité de l'artiste, libéré des normes traditionnelles.
Le jugement sur l'achèvement d'une œuvre varie selon les époques et les mouvements, révélant des rivalités esthétiques.
L'inachèvement, perçu comme défaut, peut susciter admiration et regret, enrichissant le dialogue entre l'œuvre et le spectateur.
L'évaluation artistique est complexe et subjective, influencée par des critères fluctuants et la relation entre effort et reconnaissance.
Deep dives
L'éthique du travail créateur
Le travail créateur se distingue par une éthique qui valorise l'authenticité, la sincérité et la spontanéité. Cette éthique propose que le processus créatif doit être libéré des normes traditionnelles et vise à exprimer l'intériorité de l'artiste. Par ailleurs, il est souligné que la créativité ne peut être mesurée simplement par le temps ou les efforts investis, car l'aboutissement d'une œuvre ne correspond pas nécessairement à la quantité de travail fourni. Cette perspective remet en question les méthodes d'évaluation conventionnelles du travail artistique, favorisant une appréciation immédiate ou long terme des résultats obtenus.
Histoire de l'évaluation du fini
L'histoire de l'évaluation artistique révèle que la valeur assignée à l'œuvre finie a varié dans le temps, selon les contextes et les mouvements artistiques. Les artistes, comme David à la fin du XVIIIe siècle, ont illustré comment un style de peinture plus abouti pouvait être utilisé pour rupturer avec les traditions antérieures. Les critiques d'art, tels que Rosen et Zerner, montrent que ce goût pour le fini ou le non fini dépendait des époques, oscillant entre une adhésion à la perfection et une valorisation de l'incomplet. Ainsi, le jugement sur ce qui est considéré comme achevé ou non est au cœur des rivalités esthétiques et reflète les tensions permanentes dans l'art.
Le cas de John Ruskin
John Ruskin, critique d'art éminent du milieu du XIXe siècle, a joué un rôle clé dans le débat sur l'achèvement. Il a pris position en faveur des œuvres finies, tout en reconnaissant que l'esquisse pouvait être source d'inspiration. Ruskin considérait que la richesse des détails et le réalisme ne devaient pas être sacrifiés au profit du fini académique. Son discours montre comment la perception de l'achèvement et de l'inachèvement a forgé des positionnements variés dans le débat artistique contemporains.
Stratégies de production et de marché
La production artistique est souvent liée à des stratégies économiques où le contrôle sur le marché devient essentiel. Des artistes comme Rembrandt ont su naviguer entre la production d'œuvres finies et inachevées et ont souvent développé des tactiques pour s'assurer l'accès à des acheteurs. En ayant recours à des esquisses et des travaux non finis, ces artistes ont pu valoriser leurs processus tout en maintenant une certaine distance avec les attentes du public ou des mécènes. Cela illustre aussi comment la préparation de l'œuvre et la gestion des demandes extérieures influencent l’acte de création.
Processus créatif et intervention du hasard
Le processus créatif est souvent caractérisé par l'intervention du hasard et l'indétermination des résultats. Des artistes comme Protogène ont expérimenté la manière dont le hasard pouvait influencer positivement l’issue de leurs œuvres. Cette notion souligne non seulement le rôle de la surprise dans le travail créatif, mais aussi la capacité de l'artiste à évoluer en réponse à l'incertitude. La dynamique entre contrôle et imprévu sera toujours un aspect central de la création, permettant au créateur d'explorer plus librement de nouvelles voies artistiques.
Le regret et l'inachèvement dans l'art
L'inachèvement, souvent perçu comme une imperfection, peut en réalité devenir un aspect fascinant de l'œuvre d'art, suscitant l'admiration et un profond regret chez le spectateur. La fin prématurée de la vie d'un artiste, telle que celle de Van Gogh, intensifie cette relation entre inachèvement et émotion. Le regret face à une œuvre inachevée révèle une aspiration collective à saisir ce qui aurait pu être, transformant la perception artistique en un chemin d'empathie et d'identification avec l'artiste. Ainsi, l’absence de finalité peut paradoxalement enrichir le dialogue entre l’œuvre et son public.
Complexité de l'évaluation artistique
L’évaluation artistique est déterminée par des critères fluctuants, engendrant une relation complexe entre effort et reconnaissance. Les valeurs de l'effort créatif et la satisfaction d'un artiste à l'égard de son propre travail ne suivent pas nécessairement une ligne droite, ce qui rend l'appréciation du résultat particulièrement subjective. Ce phénomène accentue la notion que réussir à produire de l’art désirable et significatif nécessite une compréhension des dynamiques internes et externes à l'œuvre elle-même. Finalement, cette évaluation est plus que le seul reflet d'une performance artistique; elle est aussi un processus dynamique, pris entre l’histoire, la culture, et la subjectivité.