

Bertrand Belin : dans son moulin à paroles (2/3)
Énigmatique de sa personne, dans ses effets fort économe, l’homme (comme son verbe) désarçonne. Pour Bertrand Belin, « les chansons sont faites d’une substance instable, comme de la nitroglycérine, à transporter en essayant de ne pas trop en renverser ». L’auteur rapide de « Lentement » et de « Glissé-redressé » négocie donc « avec la plasticité des mots », apprécie « les syntaxes un peu dégradées, les contraires, les accidents de grammaire », dynamite les interprétations en s’estimant « contenu dans une nécessaire discrétion ». Dans ses chansons, il « parle en fou » ou affronte, « résigné, devant le mal », un colosse parental. Et ajoute : « J’aime l’opacité. Beaucoup. L’incompréhensible et le merveilleux que cela comprend. Pour faire jaillir des possibilités de sens qui ne sont pas le fruit de la raison. »
En conséquence, ses vers « bêchent la terre gelée » de sentiments complexes ou dessinent « des silhouettes » : celles de clochards sur des bancs « mal gaulés » ou celle d’une femme « moitié folle, qui donne des ordres au soleil ». Son minimalisme, qui flirte parfois avec l’hermétisme, lui permet ainsi de diminuer « le risque du compromis ». Car « trop en dire » le « déçoit toujours ».
Sûr de sa force « bertran-quille » portée par son flegme vocal désormais légendaire, le chanteur vif-argent nous ouvre ici les portes de son usine intime, le moulin de Belin, lui qui affirme que ses textes… « ne sont pas écrits, passant directement de l’esprit à l’enregistrement ». Dans ce deuxième épisode, nous essaierons de le croire sur parole(s).
L’auteur du mois : Bertrand Belin
Né en 1970 à Auray, Bertrand Belin est musicien, écrivain et acteur, toujours à la recherche « du mot juste, du beau geste ». Depuis vingt ans, du premier album remarqué qui porte son nom (2005) à « Tambour Vision » (2022), sans oublier « Hypernuit » (grand prix de l’académie Charles-Cros en 2010), ce drôle d’oiseau du Morbihan, au timbre grave et envoûtant, « survole nos villes et nos campagnes » avec, sous son aile, de mystérieuses ritournelles. « Que dit-on en chantant que l'on ne saurait dire en parlant simplement ? Pourquoi chanter une chose ? », se demandait-il en 2012 dans son premier livre, un court essai intitulé « Sorties de route ». Bertrand Belin est également l’auteur d’une poignée de brefs romans intrigants aux éditions POL. Il vit à Paris et publiera en octobre 2025 son huitième album solo, « Watt », annoncé comme « tendre, grave et gracieux, avec des divertissements ».