1988-1992 : les quatre années où l’on aurait pu gagner le combat contre le changement climatique [REDIFF]
Feb 3, 2025
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Audrey Garric, journaliste au service Planète du Monde et experte en changement climatique, explore une période clé de 1988 à 1992. Elle évoque comment le gouvernement français, dirigé par Michel Rocard, aurait pu transformer radicalement la politique climatique. Elle parle de l'éveil de la conscience climatique, du rôle crucial de Brice Lalonde et des défis posés par le climato-scepticisme croissant. L'échec à poursuivre des initiatives ambitieuses a finalement conduit à un renoncement qui impacte encore aujourd'hui nos efforts contre le changement climatique.
Entre 1988 et 1992, la France avait une opportunité unique de mener une politique climatique forte, soutenue par Michel Rocard et Brice Lalonde.
Le départ de Michel Rocard en 1991 a entraîné une perte d'ambition climatique et une résurgence du lobbying industriel, freinant les initiatives prises.
Deep dives
Une prise de conscience climatique aux États-Unis
Entre 1988 et 1992, les États-Unis connaissent un moment crucial pour la sensibilisation au changement climatique, amplifié par une canicule records qui affecte les récoltes et crée une forte pression publique. Au cours de cette période, la présentation par le climatologue James Hansen devant le Congrès souligne l'impact imminent du réchauffement climatique, déclarant que l'effet de serre est déjà à l'œuvre. Les inquiétudes croissantes poussent à l'élaboration de 32 projets de loi sur le climat au Congrès, ce qui témoigne d'une coopération bipartisan sur la question. Ce climat d'urgence a ouvert une fenêtre d'opportunité pour une action politique significative contre le changement climatique, renforcée par des initiatives comme la création du GIEC en 1988.
L'engagement ambitieux de la France sous Michel Rocard
À cette époque, la nomination de Brice Lalonde comme secrétaire d'État à l'environnement marque un tournant pour la politique climatique française, mettant l'accent sur l'urgence climatique après la conférence de Time magazine en 1988. Sous la direction de Michel Rocard, le gouvernement français s'engage à inscrire la protection du climat à l'ordre du jour, cherchant à prévenir le renforcement des mouvements écologistes. Pour ce faire, ils promeuvent des politiques favorisant le nucléaire, et tentent de redorer l'image de la France à l'international après des scandales tels que l'attentat du Rainbow Warrior. En parallèle, ils s'impliquent dans des accords internationaux pour établir des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Un recul politique face à la montée du climato-scepticisme
À partir de 1991, la dynamique politique engagée par Rocard et Lalonde commence à faiblir, due à l'influence croissante du climat de doute semé par des lobbies industriels, en particulier de l'industrie pétrolière. Ce changement de cap s'accélère avec la démission de Rocard en 1991, suivi de l'absence d'ambition climatique des nouveaux premiers ministres, Édith Cresson et Pierre Bérégovoy. Les politiques de réduction des émissions prévues se transforment alors en une vision axée sur l'industrialisation, abandonnant les objectifs de mesures strictes pour le climat. Ce recul a des répercussions durables, illustrant comment un manque de consensus face à l'urgence climatique peut freiner les progrès de plusieurs décennies.
Pour l’historien des sciences Christophe Bonneuil, la période allant de l’année 1988 à 1992 est celle où la politique climatique française aurait pu durablement tout changer.
En 1988, François Mitterand entame son second mandat à la tête de l’État et le monde entier – Etats-Unis en tête – prend conscience de la réalité du dérèglement climatique. À cette période, où les propos climatosceptiques ont peu d’écho et où tous les signaux sont au vert pour une politique climatique ambitieuse, le premier ministre français Michel Rocard s’associe à l’écologiste Brice Lalonde pour faire émerger des mesures inédites.
Mais c’était sans compter sur le départ de Michel Rocard, en 1991. Ses successeurs ne montreront que peu d’intérêt pour les politiques entamées tandis que le lobbying des industries pétrogazières s’intensifiera pour stopper net l’élan qu’il avait lancé.
Dans cet épisode du podcast « L’Heure du Monde », Audrey Garric, journaliste au service Planète du Monde, nous raconte les quatre années où tout aurait pu basculer pour la défense du climat.
Un épisode de Cyrielle Bedu. Réalisation : Quentin Tenaud. Présentation et suivi éditorial : Jean-Guillaume Santi. Entretien avec Christophe Bonneuil.
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