Pourquoi s'est-on tant trompé sur l'invasion de l'Ukraine ?
Feb 14, 2023
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Florence Gaub, professeure invitée au Collège d’Europe et conseillère spéciale, et Yohann Michel, analyste à l’IISS, éclairent les erreurs de prévision concernant l'invasion de l'Ukraine. Ils explorent les biais cognitifs qui ont mené à la sous-estimation des tensions, tout en analysant les motivations complexes de la Russie. La résistance inattendue de l'Ukraine surprend les experts, révélant l'importance d'évaluer objectivement les capacités militaires. Ils soulignent aussi la nécessité d'écouter des perspectives variées pour mieux comprendre les conflits.
Les biais cognitifs ont conduit à une sous-estimation de la probabilité d'une invasion russe malgré des signes d'accumulation de troupes.
La résistance ukrainienne a été largement sous-évaluée par les analystes, qui n'ont pas pris en compte le soutien populaire de 2014.
Une approche critique et dynamique de la prospective stratégique est essentielle pour éviter des erreurs de jugement lors des conflits.
Deep dives
Les erreurs d'anticipation sur l'invasion
L'invasion de l'Ukraine par la Russie a été marquée par une série d'erreurs d'anticipation qui ont surpris un grand nombre d'experts. Malgré les signes clairs d'accumulation de troupes russes et les avertissements constants des services de renseignement, la majorité des analystes occidentaux a sous-estimé la probabilité d'une invasion massive. Cette erreur collective est attribuée à des biais cognitifs, tels que la tendance à projeter une rationalité occidentale sur les décisions du Kremlin. Ainsi, les notions de surprise et d'imprévisibilité ont joué un rôle central dans la difficulté à anticiper le déclenchement de ce conflit dès février 2022, bien que les tensions existaient depuis des années.
L'importance de la résistance ukrainienne
Un autre point clé négligé par les analystes était la capacité de résistance de l'Ukraine face à l'invasion. De nombreux experts pensaient que l'armée ukrainienne s'effondrerait rapidement, n'ayant pas pris en compte l'évolution significative de son moral et de sa détermination depuis 2014. Des recherches plus approfondies auraient révélé que le soutien populaire en Ukraine était solide, et qu'une grande partie de la population était prête à se battre pour défendre leur nation. Cette méconnaissance des dynamiques internes ukrainiennes a largement contribué à une évaluation erronée des capacités militaires ukrainiennes.
Les biais de perception des analystes
Les analystes ont souvent projeté leurs propres perceptions sur l'adversaire, simplifiant la complexité des motivations et des décisions russes. En faisant cela, ils ont oublié que les acteurs stratégiques ont des logiques et des raisons d'agir qui leur sont propres et qui peuvent différer des attentes occidentales. Par exemple, la croyance que Poutine agirait selon une logique rationnelle a conduit à une incapacité à anticiper ses choix stratégiques audacieux, ne tenant pas compte de son histoire personnelle et de son agenda géopolitique. Cette simplification a conduit à des conclusions hâtives qui ont affecté la réponse internationale face à l'invasion.
Le rôle de la logistique et de l'innovation militaire
Une autre facette de l'échec d'anticipation concerne la logistique et la préparation opérationnelle des forces russes. Malheureusement, des détails critiques tels que l'approvisionnement en matériels et la coordination des unités ont été négligés dans les analyses. En opposition, les forces ukrainiennes ont démontré une capacité d'innovation remarquable dans l'utilisation de technologies modernes, comme les drones, malgré leurs ressources limitées. Cette flexibilité et cette créativité dans l'adversité ont aidé l'Ukraine à contrecarrer les attentes selon lesquelles elle serait rapidement submergée par l'armée russe.
Leçons sur la prospective stratégique
Enfin, le conflit en Ukraine met en lumière l'importance d'une réflexion critique et dynamique en matière de prospective stratégique. Il est essentiel pour les analystes d'être conscients de leurs biais, de toujours remettre en question leurs croyances et d'élargir leurs perspectives en cherchant des opinions divergentes. De plus, l'adoption de scénarios variés plutôt que d'une vision unique peut améliorer l'anticipation des événements futurs. En intégrant cette hygiène de prospective, il devient possible d'être mieux préparé face aux incertitudes inhérentes aux conflits militaires.
Invités : - Florence Gaub, visiting professor au Collège d’Europe, conseillère spéciale du conseiller à la prospective de la commission européenne, fondatrice du Futurate institute.- Yohann Michel, analyste à l’IISS (International institute for strategic studies)5:00 Les biais cognitifs face au déclenchement de la guerre20:00 Les limites de la compréhension des motivations russes 31:00 La surprise de la résistance ukrainienne 53:00 Les leçons des erreurs de prédictionLa précédente émission sur la prospective avec Florence Gaub : https://soundcloud.com/le-collimateur/de-lanticipationGénérique par @yotta_musicExtrait audio : The Who, « I can see for miles », sur l’album « The Who Sell Out », 1967Références d’ouvrages dans l’émission : - O. Schmitt, S. Rynning, A. Theussen (dir.), « War Time. Temporality and the Decline of Western Military Power » (Brookings institution/Chatham House) - l'émission autour du livre : https://soundcloud.com/le-collimateur/du-declin-de-loccident-au-rythme-operationnel-les-temps-de-la-guerre- Raymond Aron, « Penser la guerre, Clausewitz », Gallimard, 1976- Daniel Kahneman, « Thinking, fast and slow », 2011Inscriptions pour l’événement du Grand continent : https://legrandcontinent.eu/fr/evenements/un-an-apres-linvasion-evenement-exceptionnel-sur-la-guerre-en-ukraine/