Speaker 2
C'est une très bonne analyse. Je pensais que... En fait, ce que je trouve intéressant dans cette manière de faire, c'est que tu es dans le faire aussi pour apprendre. À partir du moment où... Parce qu'il y en a qui sont relous là-dedans, qui n'ont rien fait et qui mettent en avant, qui se prennent pour des experts, ça c'est chiant. En revanche, ce que je trouve intéressant, ce sont ceux qui documentent, dans ce qu'on appelle la créateur d'économie, l'économie des créateurs de contenu, ce sont ceux qui documentent leurs apprentissages. Moi j'essaye de faire ça à fond. L'année dernière, avec un de mes pot on a fait notre premier co-living. On a fait une maison à Colombes qu'on a divisée, on a fait 10 chambres, 10 salles de bain. Tu vois on a expliqué et puis on l'explique dans un épisode de mon autre podcast, voilà ce qu'on a fait de bien, ce qu'on a fait de mal, comment on a appris, comment ça se loue, combien ça coûte etc. Et on apprend en faisant. Donc j'aime bien le faire pour apprendre. Tu peux le documenter et le publier, c'est ce qui est drôle aujourd'hui.
Speaker 1
Un jour j'étais à Washington sur un séminaire professionnel et on a un général américain qui avait fait toute cette campagne en Irak et tout, qui est venu nous le déclencher. Et c'est formidable son explication. On lui dit, mais... Et après, on avait un échange de questions-réponses. Et beaucoup de gens lui posaient la question sur quel spécialiste vous vous êtes appuyé pour réussir tel ou tel... Et il dit, la seule chose que je me méfie dans mon environnement, c'est des... des spécialistes. Il dit, j' une hantise des spécialistes, parce qu'ils sont spécialistes d'une seule et unique chose, mais finalement ils oublient tout l'écosystème autour. Donc il faut se méfier des gens qui vous donnent des conseils, des spécialistes, de ceci ou de cela. Et aujourd'hui, on a fabriqué... En fait, je vais prendre une comparaison. Moi, j'ai un ami qui s'appelle Enki Bilal, qui est un dessinateur merveilleux, tout le monde le connaît. Il est formidable. Et Enki, il me dit un jour, il me dit, tu sais, j'ai inventé le monde de Matrix. Et dans ses dessins, on a un univers à la Matrix. Et il dit, la société aujourd'hui, elle est dans ce monde-là. Il y a un monde réel, présent, on se parle, on est sur une espèce de rythme terrestre et puis il y a le monde du digital qui lui va extrêmement vite et qui peut être un tourbillon effrayant pour des gens qui s'inventent des vies qui ne sont pas réelles. Et c'est un peu l'univers de Matrix et le danger de cela c'est de rencontrer de petits personnages qui ont une durée de vie extrêmement courte or qu'il faut chercher à rencontrer des personnalités, qui elles vont avoir de la profondeur, de l'enracinement, qui vont être là un petit peu pour étayer un petit peu le propos. Et donc dans cette société aujourd'hui qui est beaucoup plus difficile à appréhender, pour les jeunes gens aujourd'hui, que ma société que j'ai connue, moi qui étais assez monocorde et qui fonctionnait sur un seul rythme. Avec un... avec
Speaker 2
je pense une difficulté particulière qui est ce qu'on appelle l'économie de l'attention, c'est que... Moi je le vois même sur ce podcast, il est... c'est ce que je veux faire, mais il est malheureusement assez difficile d'accès pour beaucoup, parce qu'en fait éc plus de deux minutes, ou cinq minutes, ou dix minutes, la plupart des gens me disent, non mais t'es un ouf, je peux pas écouter deux heures de ton machin, et en fait, je leur explique, tu peux l'écouter en plusieurs fois, c'est comme lire un roman, c'est pareil, on n'est pas obligé de passer deux heures, et ça c'est très compliqué, je pense.
Speaker 1
Alors, c'est compliqué, ça correspond à notre génération. Et en même temps, je vais faire une mauvaise métaphore. Tout le monde s'intéresse beaucoup maintenant à l'univers un peu fantasmé des fois du Japon. On va prendre la cuisine du kaiseki. C'est neuf plats ou treize plats comme ça. C'est des micro-plats. Des petits univers à chaque fois. Et les gens découvrent le kaiseki comme ça. Et dans un plat, dans le premier plat, c'est presque en trois temps. On va goûter un ingrédient et on va se dire waouh, la cuisine, ça se regarde, c'est beau, ça se médite et ça se mange. Et le quatrième temps, le quatrième temps, c'est la curiosité pour le prochain plat. Et crois que dans un podcast c'est de dire ah non mais il me faut la suite dans ce mécanisme là et puis j'ai la suite j'ai la suite, je reviens au premier et je me nourris de ça et ça le podcast moi je découvre je connaissais pas cette et maintenant je suis un peu un accro des podcasts parce que je trouve qu'il y a des gens qui... Tous les mots que j'ai pu entendre, moi j'ai eu la chance de rencontrer Edgar Morin, de passer beaucoup de temps avec Edgar Morin, étudier la pensée complexe avec Edgar Morin, et puis des gens comme Bernard Clavel aussi, qui m'ont nourri de leurs mots, de leurs propos, de leurs échanges. Et je vois Josette Prats, qui était la compagne de Bernard Clavel, qui est encore là aujourd'hui, et on discute de ce qu'on a pu échanger avec bien. Mais aujourd'hui, je vais retrouver ça dans les podcasts. Parce que, un, les grands personnages du XXe siècle, on les a plus. Ceux qui sont en train de naître aujourd'hui, ils ne sont pas encore là à pouvoir communiquer sur leurs compagnons. Donc, le podcast, quand on a la chance de prendre son temps, de prendre deux, trois minutes comme ça de son temps sur les quatre heures qu'on passe sur son smartphone, de se dire, tiens, si j'écoutais ça. Et puis, ça nous nourrit intellectuellement. Et puis, ça nous redonne, là aussi, je reviens à cette notion de verticalité, de se dire « Ah oui, il avait... Ah oui, il pensait comme mais il n'a pas tort, parce que ça aussi, je suis en train de le vivre. » Et tu vas plus
Speaker 2
loin que la façade, en fait, ce qui est... Intéressant, d'ailleurs, j'aurais pu dire déplorable, mais ce n'est pas le cas. Il faut juste... Tu vois que la façade sur deux minutes, trois minutes, sur les réseaux sociaux, deux secondes, enfin les photos, les choses, en fait, moi, je pense qu'il faut aller derrière et ça c'est ce qui m'intéresse vraiment. Je n'ai pas, tu vois, je n'ai pas commencé par l'amuse avec toi cher Thierry, alors je vais te poser ma question d'entrée maintenant et je vais te demander de te présenter.
Speaker 1
Oui, donc je m'appelle Thierry Marc, je suis un artisan cuisinier tout simplement je suis chef, ça c'est une fonction l'entreprise, et chef d'entreprise. Ça c'est un engagement que j'ai pris il y a quelques années pour une notion de liberté déjà, mais aussi peut-être aussi par goût du risque et par le fait d'aimer le goût du risque. Parce que quand on est entrepreneur, c'est qu'on a un projet et finalement qu'on n'aime pas forcément l'ultra stabilité. Donc voilà, ce qui me rend heureux aujourd'hui, c'est ce rôle de chef et de chef d'entreprise. Donc de l'artisan à l'entrepreneur. C'est toujours assez cool d'avoir
Speaker 2
ces présentations. Je trouve artisan, cuisinier, chef et chef d'entreprise. pour la blague, tu dois connaître Alain Ducasse, et Alain que j'ai reçu ici, son entourage, c'est rigolo, ils m'en voudront pas de dire ça, mais il m'a dit non mais, faut surtout pas lui dire qu'il est chef, enfin tu vois, qu'il est cuisinier, enfin, et c'est drôle parce que c'est les entourages qui protègent les gens, et quand je lui demande de se présenter, il me dit bonjour, oui, enfin je suis Alain Ducasse et je suis chef. Il me dit bon bah, j'ai même pas eu besoin de le dire en fait, tu vois, et c'est drôle de... Alain était un rôle modèle pour beaucoup
Speaker 1
de cuisiniers, alors il y a, comme à chaque fois, qu'on essaye d'être quelqu'un, et est soumis à des admirateurs et des critiques. Moi Alain, je le connais, on était en opposition des fois, parce que j'étais sur des compétitions sur lesquelles il était aussi, en termes de business. Mais il y a toujours eu un profond respect, en tout cas moi c'est un rôle modèle pour moi, il fait partie de ces gens qui ont démontré que l'apprentissage d'un métier en passant par le faire pour apprendre, ne nous interdisait pas d'aller vers les sciences, vers l'universitaire, vers l'entrepreneuriat, de croire à des valeurs, et Alain Ducasse montre bien toutes ces valeurs auxquelles il croit, il croit à une économie de la qualité. Et je suis totalement d'accord et en osmose, en harmonie avec lui, sur l'économie de la qualité. Moi, je viens de quartiers d'extraction sociale très modeste où on nous a vendu la théorie du low cost, du tout pas cher. En gros, c'est une théorie du renoncement dans lequel les gens modestes doivent renoncer à la qualité en échange de quoi ? On leur fera des petits prix. C'était d'une perversité absolue. Mais tu peux parler en
Speaker 2
présent encore, parce que c'est toujours très présent. Bien sûr.
Speaker 1
Et aujourd'hui, cette façon de faire en disant « Contentez-vous du pas cher, et ça suffira », eh bien, ça a totalement perverti notre société, de laisser croire qu'il y a une fracture, déjà, il y a une fracture sociale extrêmement forte dans notre société, eh bien, de renfor cette fracture
Speaker 2
sociale. Mais tu risques de prendre pour tes détracteurs, parce qu'évidemment, je vais te dire que je suis d'accord, mais on peut se dire que nous, toi et moi, on est des parvenus, des nantis, et que c'est facile à dire, mais que moi, si je dois me payer mes pâtes aujourd'hui, je préfère des pâtes à 2 euros qu'à 4 en fait. Mais pourquoi faire de l'alimentation
Speaker 1
cette variable d'ajustement du pouvoir d'achat ? Moi je suis pour l'augmentation des minima sociaux, je suis pour la libération de certains prix au niveau du revenu des collaborateurs, pourquoi le travail n'immancipe plus aujourd'hui ? Ça c'est une grande interrogation économique. Pourquoi le travail des plus fragiles n'immancipe plus aujourd'hui ? Et c'est ça qu'il faut défendre, c'est à un moment donné, il y a un sujet, parce que de toute façon, on va rentrer dans une société qui va être encore plus brutale que celle qu'on a connue. On va vers l'ubérisation du travail. Donc l'individualisation du travail. Donc ça veut dire que tout ce système social autour du travail et ce côté assez protecteur du monde du travail va, à mon avis, dans les décennies à venir, va exploser. On va responsabiliser la personne qui va devenir auto-entrepreneur. Ces plateformes existent déjà. Et effectivement, cette relation fraternelle qu'on pouvait avoir dans le travail va se dissiper. Donc il faut travailler un petit peu sur la société à venir et dire, il faut libérer un petit peu le coût du travail pour que les gens retrouvent dans le travail une possibilité d'épanouissement. Projet ramenant à l'emploi et épanouissement par le travail, c'est quelque chose qui devrait nous inquiéter grandement, si j'étais un homme politique, et surtout de s'interroger sur les années 30. Moi, ce qui m'inquiète toujours, quand on regarde les années 1930, 2030, je ne suis pas gourou, prédicateur ou quoi que ce soit, mais je me dis, je vois des montées des extrêmes, je vois que des gens n'arrivent plus à s'en sortir, que cette fracture sociale se durcit, il y a un vrai risque. Il y a un vrai risque de suivre les premiers gourous qui vont dire que c'est de la faute de l'autre. C'est toute mon inquiétude. Ce
Speaker 2
que je trouve délicat à lire, bon évidemment l'avenir est toujours délicat à lire, mais dans le présent, c'est qu'on est à une croisée des chemins où quand tu regardes, en fait, ce qui est toujours intéressant, c'est que les penseurs notamment de ces films de science-fiction ou de livres de science-fiction ont quand même souvent un peu raison. Moi, j'ai regardé ça avec mes enfants, mais Wall-E, qui est un film de Disney dans lequel tu as des gens qui... Tu l'as vu, ce film, oui. Ils sont dans des petits trucs, ils regardent, en fait, ils grossissent tous, ils regardent une télé en permanence, etc. Tu en as d'autres, finalement. Pas mal de films comme ça. Je cherche celui de Gataka ou des choses comme ça. Tu te dis, en fait, on part soit dans une direction où tout sera hyper discipliné, tout le monde sera complètement lobotomisé, qu'on va avoir une relation machine très, particulière et avec l'explosion de l'IA en ce moment on se dit qu'on est vraiment sur le point de bascule potentiellement, à ce que tu dis de l'autre côté un risque d'explosion d'implosion, que beaucoup de gens annoncent depuis 20 ans, 30 ans en fait, j'ai l'impression aussi d'entendre ce truc depuis très longtemps mais en fait dans les deux cas, il n'y a rien de très bon en fait,
Speaker 1
tu vois, c'est assez... Alors, Edgar Morin le dit souvent dans la pensée complexe, c'est les crises, finalement, qui vont nous faire réagir. La crise du Covid, la crise sanitaire, nous a fait réagir sur l'état de notre planète. Donc maintenant, on a un point de repère en disant, ouais, on a peut-être un peu... On est peut-être allé un petit peu loin. Mais c'est, moi, j'annonce pas quelque chose de dramatique, j'annonce rien, mais je constate aujourd'hui, tu parlais de la science-fiction, moi je suis de la génération soleil vert, où on finissait par manger des cadavres, ce qui restait, le manque d'eau, et tous ces univers de la science-fiction, finalement, nous ont projetés à un moment donné, sans qu'on veuille s'en rendre compte, quand on s'interrogeait sur la gastronomie du futur à la chaire universitaire de Paris-Saclay. On disait, c'est quoi la cuisine du futur ? C'est quoi l'alimentation du futur ? Et on avait des chercheurs qui disaient, de toute façon, on s'en fiche un peu. Vous avez un problème avec l'eau en 2050. Finalement, le problème avec l'eau en 2050, il n'est pas en 2050, il est en 2023. Moi, aujourd'hui, j'ai des départements qui sont quasiment privés d'eau et qui vont empêcher d'ouvrir certains établissements dans leur fonctionnement total parce qu'il n'y a pas assez d'eau pour faire fonctionner ces établissements. Donc, aujourd'hui, on a des choses qui annoncent quand même un besoin de réformer ou de changer un peu nos pratiques. C'est ça que je constate. Ce que je constate aujourd'hui, c'est que dans la situation politique des choses, je vois une montée des extrêmes. C'est quoi la montée des extrêmes ? C'est de chercher la responsabilité chez l'autre. Et c'est ça qui est ennuyeux. Donc on voit ça et si je compare... C'est
Speaker 2
une individualisation. C'est
Speaker 1
une individualisation. On se dit, ben, moi c'est l'autre. Et aujourd'hui, quand on regarde, on projette un petit peu, on fait ce que disent les Anglais, les forecasts, comme ça, on se dit ah ouais, c'est pas très glamour. Et je reviens à ton propos de... Je vais pas citer Gramsci, communiste, anarchiste un petit peu, qui disait le monde ancien n'en finit pas de mourir et le monde nouveau n'arrive pas à naître. Mais on a l'impression qu'on est dans une société que de comètes. C'est qu'on a cette queue de comètes du XXe siècle qui rentre un peu dans le XXIe, mais on n'y est pas vraiment encore. Et oui, il y a quand même une partie de notre société qui n'arrive pas à changer son mode de consommation, son mode de vie, parce qu'elle ne rencontre pas quoi ? Des crises. La crise du Covid aurait dû nous faire prendre conscience d'un certain nombre de choses. À un moment donné, que notre cupidité, notre imprévoyance était quand même un sujet majeur. Ben non, on réaccélère les choses en disant encore plus d'individualité, encore moins de collectif. Et donc, il y a un sujet là-dessus qui, moi, ne m'inquiète pas, parce que les crises, je reviens à ce que tu disais tout à l'heure, il faut garder sa verticalité, détecter les signaux faibles et s'adapter. C'est du darwinisme pur, ce n'est pas autre chose.